LES SERVICES
PUBLICS NE PROFITENT PAS TOUJOURS AUX PAUVRES - UN NOUVEAU RAPPORT MONTRE COMMENT
GOUVERNEMENTS ET CITOYENS PEUVENT MIEUX FAIRE. Les pays donateurs
devraient accorder l'aide de façon à promouvoir la fourniture de services de qualité
aux pauvres
Communiqué de presse n° :
2003/063/S
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WASHINGTON, 21 septembre 2003 Un nouveau rapport de la Banque mondiale
avertit que lon ne peut escompter de grandes améliorations dans les conditions de
vie des pauvres tant quils ne bénéficient pas dun plus grand accès, à des
prix abordables, à de meilleurs services de santé, déducation, deau
potable, dhygiène et délectricité. Sans de telles améliorations, les
maladies et lanalphabétisme deux maux à éradiquer pour sortir les pauvres
de leur condition continueront dêtre le lot de nombreuses couches démunies.
Intitulé « Rapport sur le développement dans le monde 2004 : mettre les
services de base à la portée des pauvres », ce document révèle que, trop
souvent, les pauvres nont pas accès à des services de qualité, et ce dans les
quantités requises. Cette situation est de nature à rendre vains les efforts visant à
atteindre les Objectifs de développement pour le millénaire. Ces Objectifs appellent à
réduire de moitié le phénomène de la pauvreté dans le monde et à apporter des
améliorations substantielles au développement humain avant 2015. Le rapport cite des
exemples pertinents de pays où les services fonctionnent bien, montrant comment pouvoirs
publics et citoyens peuvent améliorer les choses. Le rapport parle également de succès
spectaculaires et déchecs cuisants qui ont caractérisé les efforts que certains
pays en développement ont déployé pour fournir des services de base meilleurs. Ce qui
distingue le succès de léchec est le degré dimplication des pauvres dans la
détermination de la qualité et de la quantité des services qui leur sont fournis.
« Souvent, les services de base ne profitent pas aux pauvres. Même si ces
échecs semblent moins catastrophiques que les crises financières, il nen demeure
pas moins que leurs effets sont profonds et durables », déclare M. James D.
Wolfensohn, Président de la Banque mondiale. Poursuivant, il ajoute que « les
services marchent lorsquils profitent à tout le monde : quand les filles sont
encouragées à fréquenter les écoles, quand les enfants et leurs parents participent à
leffort déducation, lorsque la collectivité prend en charge son système
dhygiène et dassainissement. Ces services de base fonctionnent quand on
formule une approche intégrale du développement, en reconnaissant quune mère
instruite prendra mieux soin de ses enfants et que la construction dun pont ou
dune route permettra aux enfants de se rendre à lécole. »
Ce rapport intervient à un moment où les pays riches ont promis de revoir à la
hausse laide extérieure et les pays en développement se sont engagés à
améliorer leurs politiques et institutions afin datteindre les ODM. « Certes,
la croissance économique est nécessaire pour accélérer le développement humain, mais
elle ne suffit pas », estime Nicholas Stern, Economiste en chef et
Vice-président pour léconomie du développement à la Banque mondiale.
« Pour atteindre les objectifs de développement en 2015 il faudra augmenter
substantiellement les ressources extérieures et utiliser plus efficacement toutes les
ressources intérieures et extérieures. Le rapport propose un cadre pratique pour
utiliser plus efficacement ces ressources », ajoute-t-il.
Les services de base ne profitent pas à ceux qui en ont besoin
Le rapport reprend les témoignages de plusieurs pauvres qui décrivent la médiocrité
des services de base quils reçoivent.
A Adaboya (Ghana) « les enfants doivent parcourir quatre kilomètres pour
rejoindre leur école car celle qui se trouve dans leur village est en état de
dégradation avancée et ne peut accueillir les enfants pendant la saison des pluies». A
Potrero Sula (Salvador) les villageois se plaignent de « linutilité du centre
de santé car il ny a ni médecin ni infirmier et il nouvre que deux jours par
semaine et ce uniquement jusquà midi.» Dans une enquête auprès de femmes qui
avaient accouché dans des centres de santé ruraux de la province de Mustafa, au
Zimbabwe, beaucoup dentre elles ont révélé avoir été frappées par le personnel
lors de laccouchement.
Des faits similaires sont rapportés dans dautres pays. Au Mali, les enfants
pauvres doivent parcourir en moyenne huit kilomètres pour se rendre à lécole. Au
Tchad, les femmes doivent faire 23 kilomètres pour rejoindre une clinique. Un milliard de
personnes dans le monde nont pas accès à une eau potable de qualité. 2,5
milliards dindividus vivent dans des quartiers dénués de toute infrastructure
dhygiène et dassainissement.
Même lorsque les pauvres ont accès aux services de base, la qualité de ceux-ci fait
souvent défaut. Lors de visites spontanées dans 200 écoles primaires en Inde, les
enquêteurs ont découvert que la moitié de ces établissements ne dispensait aucun
enseignement au moment de leur arrivée. Près de 45% des enseignants en Éthiopie
étaient absents au moins un jour dans la semaine qui a précédé la visite et 10%
dentre eux depuis trois jours ou plus. Dans les centres de premiers soins au
Bangladesh, les enquêteurs ont révélé que labsentéisme touchait 74% des
médecins.
« Il est indispensable de fournir aux pauvres des services vitaux, comme la
santé et léducation, si lon veut faire des progrès rapides en matière de
développement humain car, à elles seules, les dépenses publiques ne suffisent pas, »
précise Jean-Louis Sarbib, nouveau Vice-président au Développement Humain de la
Banque mondiale et ancien Vice-président de la Banque pour la Région Moyen-Orient et
Afrique du Nord. « La Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) dépense
pour léducation publique plus que toute autre région en développement. Or, on
enregistre dans cette région les taux les plus élevés danalphabétisme chez les
jeunes. Les chances pour quune fillette de la région MENA soit analphabète sont
égales à celles dune fillette dAfrique sub-saharienne, une région bien
moins riche», ajoute-t-il.
Les services de base peuvent aider les pauvres
Le rapport cite également quelques exemples de succès. LIndonésie a utilisé
sa manne pétrolière pour construire de nouvelles écoles et recruter davantage
denseignants, réussissant ainsi à doubler la population scolaire qui est passée
à 90% en 1996. En Ouganda, le nombre denfants fréquentant le cycle primaire est
passé de 3,6 millions à 6,9 millions en lespace de cinq ans. Un programme mexicain
offrant de largent aux familles qui se rendent régulièrement dans des centres de
soins et envoient leurs enfants à lécole a permis de réduire de 20% les
incidences de maladie chez les enfants et augmenté la scolarisation des enfants de 5%
pour les garçons et de 8% pour les filles.
« Les services fonctionnent lorsque les pauvres se trouvent au cur même
des prestations; lorsque les pauvres pourront se passer des prestataires médiocres et
sapprovisionner auprès des bons fournisseurs; lorsquils réussiront à faire
entendre leur voix auprès des décideurs politiques. Autrement dit, lorsque les
prestataires seront encouragés à servir les pauvres, » affirme Shanta
Devarajan, Directeur du Rapport 2004 sur le Développement dans le Monde et Economiste en
chef du Réseau de développement humain de la Banque mondiale.
Le rapport explore trois méthodes par le biais desquelles les services de base
pourront être améliorés:
1. En accordant, aux clients pauvres, une plus grande participation et un plus grand
choix dans la fourniture des services, afin de leur permettre de contrôler et sanctionner
les prestataires. Les programmes de bons scolaires à linstar dun
programme colombien destiné aux familles pauvres ou du programme de scolarisation des
filles au Bangladesh (qui rémunère les écoles en fonction du nombre de filles qui les
fréquentent) donnent aux clients plus de pouvoirs sur les prestataires et ont
permis une augmentation appréciable des taux de scolarisation. Les écoles gérées par
les communautés locales au Salvador, que les parents visitaient régulièrement, ont
enregistré une diminution de labsentéisme des enseignants et une amélioration des
performances scolaires des élèves.
2. En amplifiant la voix des citoyens pauvres, par les urnes et par un plus grand
accès à linformation. Des enquêtes menées sur la prestation des services à
Bangalore (Inde) ont montré aux pauvres la qualité des services deau potable, de
santé, déducation et des transports quils reçoivent en comparaison avec les
provinces voisines, ont incité ces populations à réclamer de meilleurs services publics
et poussé les décideurs politiques à agir.
3. En récompensant les bonnes prestations et en sanctionnant les mauvaises. A
lissue dune guerre civile, le Cambodge avait décidé de rémunérer les
services de premiers soins de deux districts en fonction de létat de santé des
ménages dont ils avaient la charge (évaluations conduites par des organes
indépendants). Les indicateurs de santé et du recours des pauvres à ces structures ont
enregistré une relative amélioration par rapport aux autres districts.
Service public service privé: un faux débat ?
La prestation de services de santé, déducation et autres fait lobjet de
grandes polémiques dans de nombreux pays, on met en opposition les services publics et
les privatisations à grande échelle.
Tout en reconnaissant lexistence de problèmes au sein des services publics, le
rapport estime que ce serait une erreur de conclure que les pouvoirs publics devraient
tout abandonner au secteur privé. Si les individus ne sont pas soumis à une forme de
contrôle, ils ne fourniront pas les prestations de santé et déducation auxquelles
la collectivité aspire. Ceci est non seulement vrai en théorie mais, dans la pratique,
aucun pays na pu améliorer la qualité de léducation primaire ni réduire la
mortalité infantile sans lintervention et laide du gouvernement.
En outre, la participation du secteur privé à la santé, léducation et les
infrastructures nest pas sans poser des problèmes surtout lorsquil
sagit de fournir ces services aux pauvres. La position radicale selon laquelle le
secteur privé devrait soccuper de tout est loin dêtre souhaitable.
Ritva Reinikka, co-directrice du rapport sur le développement dans le monde 2004 et
Directrice de Recherche sur les services publics à la Banque mondiale, estime que « au
lieu de senliser dans ce faux débat qui consiste à dresser le secteur public
contre le secteur privé, il faudrait se poser la question de savoir si le mécanisme de
prestation des services de base accorde aux pauvres davantage de pouvoir pour quils
puissent surveiller et sanctionner les prestataires de ces services, donne résonance à
leur voix dans le processus de formulation des politiques et leur apporte les services
dont leurs familles ont besoin ».
Le rapport indique que certains bailleurs de fonds sont séduits par largument
demandant de tout laisser au secteur privé. Les donateurs estiment que si les prestations
des services publics sont si mauvaises, on ne devrait pas continuer à accorder des aides
aux gouvernements.
« Ce serait une erreur », avertit Reinikka, « de
nombreux travaux de recherche confirment que laide produit de bons résultats dans
les pays dotés de politiques et dinstitutions efficaces et celles-ci connaissent
une nette amélioration ces derniers temps. Les réformes préconisées dans ce
rapport (destinées aux agences daide et aux pays bénéficiaires) peuvent rendre
laide encore plus productive. »
Le rapport soutient que lorsquil y a amélioration au niveau des institutions et
des politiques, il faut augmenter lenveloppe de laide et non pas la
réduire afin datteindre le but commun quest la diminution de la
pauvreté conformément aux Objectifs de développement pour le millénaire. Néanmoins,
augmenter les dépenses publiques sans exiger un meilleur rendement de celles-ci
ne produira pas nécessairement des bénéfices substantiels. La productivité des
dépenses publiques varie fortement dun pays à un autre. Le Malawi et
lÉthiopie consacrent presque les mêmes sommes dargent à chaque enfant du
cycle primaire; or leurs rendements respectifs sont incomparables. Le Pérou et la
Thaïlande dépensent des sommes très différentes mais obtiennent des rendements
similaires.
Le rapport conclut quil nexiste pas de formule applicable à tous. Le type
de mécanisme de fourniture des services de base doit être conçu en tenant compte des
spécificités du service à fournir et des particularités du pays. Par exemple, si le
service est facile à surveiller, comme les campagnes de vaccination, et est dispensé
dans un pays doté de politiques favorables aux pauvres, comme la Norvège, une telle
prestation peut être livrée directement par le gouvernement central ou sous-traitée.
Mais si les politiques du pays sont telles que les ressources risquent dêtre
détournées au profit de personnes aisées et que le service est difficile à surveiller
(comme lenseignement), il faudra mettre en place des structures qui renforcent au
mieux le pouvoir du client. Les formules de bons attribués en fonction des moyens
(ex. : Colombie et Bangladesh), les écoles gérées par la collectivité (ex. :
El Salvador) ou les programmes transparents et fondés sur des règles (programme
Progresa au Mexique) sont les plus susceptibles de profiter aux pauvres.
Appliquer les bons exemples au niveau national
Innover en matière darrangements de prestation des services ne peut suffire,
annonce le rapport. Il sagit de généraliser ces innovations pour que
lensemble du pays puisse en bénéficier. Pour ce faire, le rapport met
laccent sur le rôle de linformation, qui peut être à la fois stimuler
laction publique et le changement, et contribuer à la mise au point de réformes
efficaces. En Ouganda, il a suffi quun journal révèle que seuls 13% des fonds
destinés à lenseignement primaire arrivaient réellement dans ce secteur pour que
la population réagisse. Maintenant, 80% de ces fonds sont effectivement versés à ce
cycle éducatif et le total du budget de lécole est affiché sur la porte de
lécole.
Lévaluation systématique de ces innovations, assortie dune évaluation
simultanée du groupe de contrôle et du groupe de traitement, permet aux
décideurs politiques de prendre la mesure de la réalité du terrain. Lévaluation
de Progresa au Mexique a conduit à lextension de ce programme
afin quil couvre 20% de la population du pays.
Les auteurs du rapport ont néanmoins averti que de telles réformes sont difficiles à
réaliser. «Il ny a pas de baguette magique. Il sagit dentreprendre
la réforme des institutions et des relations de pouvoir car les besoins des pauvres de la
planète sont urgents et les services publics y ont trop souvent failli. Il nous faut agir
maintenant », conclut Devarajan. |